🚨️Bataille de chiffres autour du coût du nucléaire en France
Paris, 19 sept 2023 (AFP) - Combien coûtera l'électricité nucléaire d'EDF en France ? Cette donnée cruciale est au coeur d'une bataille de chiffres entre le régulateur et EDF au moment où l'entreprise publique cherche à fixer ses prix plus librement pour faire face au mur d'investissements qui l'attend.
Dans une lettre du 10 mars 2023, le gouvernement avait demandé à la commission de régulation de l'énergie (CRE) d'actualiser son évaluation du coût de production du parc nucléaire existant, y compris l'EPR de Flamanville qui doit entrer en service au premier trimestre 2024. Celui-ci était estimé par la CRE à 48,36 euros le MWh en 2020.
La nouvelle estimation de la CRE porte le coût de production nucléaire, en comptant le démantèlement, à 60,70 euros/MWh sur la période 2026-2030, 59,10 euros sur 2031-2035 et 57,30 euros sur 2036-2040, selon la synthèse d'un rapport confidentiel du régulateur remis en juillet au gouvernement mais dévoilé seulement mardi par le média en ligne Contexte.
Ces montants, qui ne comprennent pas le coût du nouveau programme nucléaire, sont bien inférieurs à ceux présentés par EDF à la CRE, l'électricien ayant évalué ses coûts à 74,80 EUR/MWh sur la période 2026-2030, 73,90 EUR le MWh sur 2031-2035 et 69,90 EUR/MWh sur la période 2036-2040.
Pour le ministère, la nouvelle analyse de la CRE a vocation à éclairer "les travaux relatifs à une nouvelle régulation du marché de l'électricité" voulue par Emmanuel Macron, a expliqué le ministère de la Transition énergétique lors d'un appel téléphonique avec quelques journalistes.
L'objectif est que "les consommateurs français, ménages et entreprises puissent bénéficier de prix stables proches des coûts de production d'électricité en France", a ajouté le ministère.
Interrogée, la direction d'EDF n'a pas souhaité commenter le document, alors que les discussions avec le gouvernement sur le cadre dans lequel EDF pourra vendre son nucléaire, se poursuivent.
Informations sensibles
L'Etat et EDF travaillent à l'élaboration du nouveau cadre censé prendre le relais de l'Arenh, le mécanisme régulé qui impose à EDF jusqu'au 1er janvier 2025 de vendre une partie de son électricité à ses concurrents fournisseurs alternatifs, à un prix bas de 42 euros le MWh.
Ce système, jamais réévalué depuis 2012, est accusé d'entraîner une "sous-rémunération" de l'entreprise, selon les propos de son PDG Luc Rémont.
Avec un coût du nucléaire désormais estimé autour de 60 euros le MWh par la CRE, faut-il redouter une nouvelle explosion des prix?
"Une évaluation d'un coût complet du nucléaire ne présage pas de la régulation du tarif réglementé", a relativisé Nicolas Goldberg, expert au cabinet Colombus consulting et à Terra Nova, sur le réseau social X.
L'estimation de la CRE se base sur une hypothèse de régulation des actifs nucléaires fondée sur un prix de vente garanti par l'Etat, un modèle dit de "contrat pour différence" souhaité par la France dans ses discussions sur la réforme du marché de l'électricité à Bruxelles.
Or, EDF défend une toute autre vision et plaide pour des contrats de long terme de gré à gré avec de grands clients - industriels et fournisseurs alternatifs.
Ils lui permettraient de fixer ses prix plus librement pour financer des investissements colossaux : EDF doit prolonger ses centrales, construire de nouveaux réacteurs et développer les renouvelables, soit en tout 25 milliards d'euros à trouver par an.
Selon le ministère de la Transition énergétique, les hypothèses de régulation ne sont pas arrêtées et feront l'objet de propositions "dans les prochaines semaines". Il rappelle aussi que les montants de la CRE ne peuvent être assimilés "à des hypothèses de prix de l'électricité pour les consommateurs finaux".
Ce rapport désormais sur la place publique tombe mal en tout cas pour l'électricien désormais détenu à 100% par l'Etat.
"Il y a tout dans ce rapport", des "informations commerciales sensibles sur EDF" susceptibles de créer des "leviers de négociations" pour les grands clients d'EDF , estime Nicolas Goldberg.
"C'est comme si vous étiez face à un grossiste vous proposant un prix et que vous étiez capable de reconstituer toutes ses marges de prix", a-t-il relevé auprès de l'AFP.