🚨️Nucléaire: la "vague" de projets de mini-réacteurs soulève de nouveaux défis de sûreté
Paris, 6 mars 2024 (AFP) - Elles s'appellent Jimmy, Calogena ou Naarea: l'émergence de start-up promettant de décarboner l'industrie grâce à de petits réacteurs nucléaires soulève des questions inédites et de nouveaux enjeux de sûreté.
SMR, AMR: de quoi parle-t-on ?
Plus petits, moins puissants que leurs grands frères du parc nucléaire historique, les PRM (petits réacteurs modulaires) pourront produire de l'électricité, mais aussi fournir de la chaleur aux industries lourdes (verre, chimie, acier...), aujourd'hui très dépendantes d'énergies fossiles.
Leur puissance varie entre 10 et 540 mégawatts thermiques (MWth), contre 4.300 MWth pour l'EPR de Flamanville attendu en Normandie.
On distingue les SMR ("small modular reactors"), version miniature des réacteurs actuels à eau sous pression, et les réacteurs innovants dit de 4e génération (AMR, "advanced modular reactors").
Au total, plus de 80 projets sont recensés dans le monde, à maturités diverses. Jusqu'ici, seule la Russie exploite deux SMR embarqués sur une barge.
Sur les dix projets suivis en France par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), la plupart sont des réacteurs de 4e génération à neutrons rapides, vantés par leurs promoteurs comme pouvant régler le problème des déchets radioactifs grâce à un meilleur recyclage des combustibles usés. "Ils sont capables de brûler les déchets générés par les réacteurs actuels", soulignait récemment Philippe Dupuy, chef de la mission réacteurs innovants à l'ASN, devant la presse.
Où en sont les projets en France ?
La start-up Jimmy Energy devrait être la première à déposer une "demande d'autorisation de création", d'ici fin mars, pour son réacteur à haute température refroidi à l'hélium. Ses concepteurs veulent aller "très vite", selon l'ASN.
L'instruction de cette demande prendra au moins 3 ans.
D'autres projets visent fin 2026 pour leur demande, comme la chaudière de Calogena ou le SMR porté par une filiale d'EDF, Nuward, qui vise 2030 pour le "premier béton" de la tête de série.
Selon l'ASN, leur développement dépendra largement de la capacité de ces acteurs à disposer de combustibles spécifiques, impliquant de créer de nouvelles filières.
Quels enjeux pour le régulateur ?
Pendant des décennies, l'ASN n'a traité qu'avec quatre opérateurs historiques: EDF, Orano (ex-Areva), Framatome et l'Andra, l'agence des déchets. Déjà confrontée à un surcroît de dossiers lié à la prolongation du parc historique et aux projets de nouveaux EPR, elle doit désormais faire face à cette "vague" de mini-réacteurs portés par des start-up qui bousculent le secteur.
"Les start-up, ce ne sont pas des paquebots, ce sont des +zodiacs+ très agiles", capables de fournir une note de calcul en une semaine, "quand il faut parfois 2-3 mois pour obtenir un document d'un opérateur historique", souligne l'ASN.
Pour l'Autorité, les sujets ne sont pas seulement techniques; il s'agit d'évaluer leur capacité à devenir un "exploitant nucléaire", et donc leur "système de management", leurs "capacités financières" et leur "culture de sûreté".
Quelle sûreté ?
Ce n'est pas parce que ces réacteurs sont plus petits qu'il y aura moins d'attentes de sûreté, assure l'ASN, promettant d'être "beaucoup plus exigeante" vis-à-vis de ce qu'elle appelle le "nouveau nucléaire de proximité".
Ces nouveaux objets sont en effet destinés à être fabriqués en série et déployés en nombre, pour être rentables économiquement. Demain, ils pourraient être installés dans des zones densément peuplées. Pour répondre à ces enjeux, et notamment l'acceptabilité par le public, l'ASN a mis en place une commission de cinq experts de la sûreté et de cinq représentants des parties prenantes (société civile, industriels, assureurs).
"Comme ces réacteurs seront installés près d'habitations en zones urbaines ou industrielles, il faudra qu'on ait une démonstration que les conséquences, même en cas d'accident grave, sont négligeables", alors que dans les réacteurs classiques, elles doivent être "limitées", explique M. Dupuy.
Si l'électricité conduite jusque dans la prise ne peut pas être contaminée par la radioactivité, la question se pose pour les industries qui recevront la chaleur produite par de petits réacteurs in situ. Pour l'ASN, "il n'est pas physiquement impossible qu'une partie de la radioactivité du coeur, en cas de défaillances au niveau des barrières, se retrouve au niveau du procédé industriel du client".
Selon Karine Herviou, directrice générale adjointe de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), "la conception doit être telle qu'un accident affectant le réacteur ne conduise pas à un transfert de contamination vers le procédé industriel, par exemple par la mise en place de circuits de refroidissement intermédiaires".
En l'état, l'ASN juge qu'"il y a une possibilité de sécurité renforcée" pour ces petits réacteurs. Du fait de la puissance réduite du coeur, "il y aura moins de puissance résiduelle à évacuer après l'arrêt automatique du réacteur". Moins d'énergie à évacuer, c'est aussi une moindre sollicitation mécanique sur les barrières de confinement, souligne M. Dupuy.