Le 8 avril 2022 est paru au journal officiel le décret 2022-495 du 7 avril 2022 relatif au délestage de la consommation de gaz naturel, modifiant le code de l’énergie. L’objectif de ce décret est de rendre possible les coupures de gaz ciblées l’hiver prochain pour faire face à une possible interruption d’approvisionnement ou à un embargo sur le gaz russe, comme c’est le cas sur le charbon russe.
Qui est concerné par ce décret ? L’électricité sera-t-elle aussi concernée ? C’est ce que nous allons voir dans cet article.
Qui est concerné par ce décret ?
Une réduction de la consommation des gros consommateurs de gaz naturel
Le décret prévoit que les gros consommateurs de gaz, ceux qui consomment plus de 5 GWh par an, pourraient potentiellement être délestés du réseau. En clair, cela signifie qu’ils pourraient potentiellement ne plus être approvisionnés durant les pics de consommation.
Ce décret concerne les consommateurs raccordés au réseau de transport, GRTgaz et Téréga, mais également tous les clients supérieurs à 5 GWh raccordés au réseau de distribution GrDF.
Et l'interruptibilité dans tout ça ?
À partir du 1er avril 2020, les consommateurs de gaz pouvaient déjà signer un contrat d’interruptibilité pour obtenir en contrepartie une réduction de leur facture d’acheminement.
Cette mesure de marché, permet au consommateur qui accepte de réduire sa consommation en cas d’activation du dispositif une réduction proportionnelle de la composante “compensation stockage”, que ce dispositif soit déclenché ou pas au cours du contrat.
Le gestionnaire de réseau dispose ainsi à travers l'engagement de ses clients d’une capacité interruptible lui permettant de gérer au mieux le passage des pointes de consommation.
L'enjeu de l'hiver prochain
Actuellement, en fin de période hivernale, une interruption des livraisons de gaz russe n’aurait pas d’impact sur les consommateurs. En revanche, la question se pose pour cet été, période pendant laquelle s’effectue le remplissage des stockages de gaz en prévision de l’hiver prochain. Et bien sûr, elle se pose pour l’hiver prochain où un arrêt des approvisionnements aurait un impact très significatif sur l’activité industrielle et le confort des grands ensembles résidentiels et tertiaires.
Il y a donc un premier enjeu essentiel qui est de remplir les réserves de gaz pour anticiper l’hiver prochain qui risque d’être très difficile du fait de la guerre en Ukraine et des mesures prises en réaction par l’Union Européenne.
L’enjeu en France porte sur une dépendance au gaz russe à hauteur de 20% du total des importations, mais il est de 40% pour l’UE. Et effectivement, les simulations faites par GRTgaz montrent que la France serait moins touchée que ces partenaires européens. Cependant, en cas d’hiver rigoureux ou d’épisodes de froid intense, la France doit envisager des réductions de consommation.
Combien d'entreprises sont concernées par le décret délestage ?
Les consommateurs concernés par cette mesure sont environ 5 000, il s’agit notamment :
- Des producteurs d’électricité disposant d’unités de production fonctionnant au gaz naturel ;
- Des très grands sites industriels de la pétrochimie, chimie, verrerie, métallurgie, etc. utilisant le gaz naturel pour leur processus : four verrier, fabrication de l’hydrogène par craquage pour produire de l’ammoniac, de l'acide nitrique et des engrais azotés, etc. ;
- Les salles de spectacle, stades, grands centres commerciaux et grands bâtiments résidentiels et tertiaires disposant de chaudières gaz pour le chauffage de leurs espaces.
Cependant, chaque année, les gestionnaires des réseaux de transport et de distribution réalisent une enquête auprès de tous ces consommateurs afin de déterminer les consommateurs répondant à des enjeux critiques, comme :
- Les producteurs d’électricité de pointe et d’extrême pointe qui utilisent le gaz pour faire fonctionner des cycles combinés gaz de plus de 150 MW électriques et qui participent à la sécurité du système électrique ;
- Les consommateurs assurant des missions d’intérêt général, de sécurité, de défense et de santé ou fournissant un service de chauffage à ces sites ou à des logements ne disposant pas de mix énergétique et ne pouvant pas substituer le gaz par d’autres formes d’énergie ;
- Les consommateurs susceptibles de subir des conséquences économiques majeures en cas d’arrêt ou de réduction forte de leur consommation.
L'électricité sera-t-elle aussi concernée ?
Côté électricité, un autre dispositif dit "d'interruptibilité" existe déjà, il permet également d’interrompre immédiatement la fourniture d’électricité sur 18 sites très gros consommateurs d'électricité raccordés au réseau de transport d’électricité afin d’éviter tout black-out sur le réseau interconnecté européen de l’UCTE. Ces sites sont sous contrat avec RTE et en contrepartie de leur participation à ce mécanisme d’interruptibilité, ils perçoivent une rémunération très conséquente en fonction de leur puissance effaçable.
Pour en savoir plus, n’hésitez pas à lire notre article sur l’effacement électrique.
Conclusion
Le 7 avril 2022, les États Membres de l’Union Européenne ont approuvé un embargo sur le charbon russe. Ce même jour, en France, le décret délestage est signé par le Premier Ministre. Pour autant, le gouvernement indique que ce décret aurait été publié dans tous les cas pour éviter une instabilité du réseau de gaz conformément à une ordonnance de 2018.
Même si aucun embargo n’est encore d’actualité sur le gaz, ce décret délestage prend une couleur particulière dans le contexte géopolitique actuel.
La France se prépare donc à un arrêt des approvisionnements de gaz russe pour l’hiver prochain. Les mesures envisagées par le gouvernement portent sur des dispositifs éprouvés dont certains comme le délestage ont déjà été utilisés par le passé.
Comme indiqué précédemment, il y a 2 ans, l’interruptibilité avait remplacé la délestabilité. Avec ce nouveau décret délestage, le gouvernement remet au goût du jour la délestabilité. Ainsi, les gestionnaires de réseau disposent toujours des contrats d’interruptibilité et, en dernier recours, ils pourront faire appel au délestage “arbitraire”.
Ces derniers jours, le gouvernement a redoublé d’efforts pour élaborer d’autres mesures visant à parer tout embargo des approvisionnements de gaz russe. Il est notamment envisagé par l’Etat une augmentation des importations de GNL (Gaz Naturel Liquéfié) en provenance des Etats-Unis et l’installation d’un navire “terminal méthanier” de gazéification du GNL dans le port du Havre en collaboration avec TotalEnergies et Engie.