L'un des principaux objectifs de l'ouverture des marchés est d'éviter les black-out électriques. On a parfois tendance à l'oublier, mais c'est inscrit dans la première directive européenne sur le sujet.
Au-delà d'offrir un accès aux réseaux sans discrimination, l'Europe souhaite avant tout sécuriser son approvisionnement. Avant de penser aux variations de prix, c'est la sécurité qui prime.
Qu'en est-il aujourd'hui en France ? En tant qu'abonné à SirEnergies, vous n'êtes pas sans savoir que l'électricité ne se stocke pas, en tout cas à grande échelle.
Le gestionnaire de réseau doit sans cesse veiller à l'équilibre production = consommation à chaque instant. L'équilibre du système est fragile, car la prévision des consommations est un exercice complexe.
Il existe de nombreux exemples à travers l'histoire ou les moyens mis en œuvre n'ont pas suffi. Les énergies renouvelables, étant intermittentes par nature, complexifie la préservation de cet équilibre.
L'origine et les causes des coupures généralisées
L'équilibre du système électrique
L'équilibre du système électrique est fragile comme nous l'avons rappelé en introduction.
Le gestionnaire de réseau n'ayant pas la possibilité de compter sur des stocks d'électricité (comme en gaz) il doit maintenir une équivalence entre la production et la consommation. C'est le travail des dispatcheurs de RTE (Réseau de transport d'électricité) qui assure cette mission en temps réel.
Le réseau électrique doit donc encaisser en permanence toute la demande d'électricité. En effet, les alternateurs tournent à une fréquence de 50 hertz.
Si la demande dépasse l'offre, alors cette fréquence va chuter à l'inverse si l'offre dépasse la demande alors la fréquence augmente. C'est donc cet équilibre que surveille RTE, en maintenant la fréquence à 50 Hz.
Les différentes causes des black-out électriques
RTE prévoit donc à l'avance la demande d'électricité et demande aux producteurs d'ajuster leurs productions en conséquence. Cependant, plusieurs évènements peuvent provoquer des dysfonctionnements.
Les surcharges en cascades
Lorsqu'une ligne électrique n'est plus disponible, l'électricité censée être transité par cette ligne va emprunter un autre chemin. Cela peut créer une surcharge sur une autre ligne. Chaque ligne dispose d'une capacité de transport maximale.
Si le courant dépasse cette limite, il y a surchauffe et la ligne se déconnecte automatiquement du réseau. Cette réaction peut s'enchaîner en entraînant une coupure de nombreuses lignes pour cause de surcharge électrique.
L'effet Joules et la dilatation des lignes
Une surcharge prolongée peut entraîner une dilatation trop importante des lignes électriques et causer leur déformation.
Nous avons vu dans l'histoire des black-out généralisée avec pour cause une ligne en surchauffe qui sous l'effet Joules se dilate et touche un arbre à proximité. À son contact la ligne se coupe du réseau et la réaction en chaîne s'amorce.
Un des exemples les plus célèbres a eu lieu en Allemagne le 4 novembre 2006. La mise hors tension de deux lignes pour laisser passer un navire à déclencher une coupure généralisée en Europe.
La chute locale de tension
Lorsqu'une centrale nucléaire par exemple n'est plus disponible, la tension chute de manière locale.
Cependant, lorsque la tension baisse cela réduit la capacité de transport des lignes. Cela crée des goulots d'étranglement et donc des surcharges. Ces phénomènes peuvent survenir très rapidement.
L'Europe : une plaque de cuivre interconnectée
En Europe, nous avons ce qu'on appelle un réseau interconnecté. C'est-à-dire que chaque pays est connecté à ses voisins par des lignes électriques. La fréquence est donc gérée au niveau européen.
Si un défaut survient dans une ligne à proximité de la frontière, il est probable qu'une partie des flux se dirigent vers les pays frontaliers. Un incident de grande ampleur peut donc théoriquement plonger dans le noir une grande partie de l'Europe.
Évidemment cette situation n'est que théorique, car il existe un certain nombre de moyens pour atténuer ces risques.
Les moyens à disposition du gestionnaire de réseau pour prévenir ces black-out
Les réserves (services systèmes) et le mécanisme d'ajustement
En France, RTE dispose de trois types de réserves - primaire, secondaire, tertiaire - pour gérer les déséquilibres entre la production et la consommation.
- RP : Réserves primaires.
- RS : Réserves secondaires.
- RT : Réserves tertiaires.
Chacune de ces réserves dispose d'une puissance en MW et se déclenche si la fréquence du réseau chute.
Les réserves primaires (RP) et secondaire (RS) (dites « services système fréquence ») sont déclenchées automatiquement pour contenir la chute de fréquence. La première démarre en moins de 30 secondes tandis que la deuxième en moins de 15 minutes.
L'idée est d'empêcher la fréquence de s'effondrer. Ces centrales de production flexibles sont activées par RTE, des contrats en amont ayant déjà été signés avec différents producteurs.
RTE dispose également d'une autre réserve de puissance disponible. Il s'agit du mécanisme d'ajustement. Certains acteurs mettent à disposition leurs capacités de production afin d'équilibrer le réseau. Ils sont rémunérés pour ce service.
C'est le TURPE qui vient supporter ces coûts et donc in fine l'ensemble des consommateurs Français.
Les autres moyens à disposition du gestionnaire de réseau
Globalement, il existe ce qu'on appelle une "Stratégie de défense du réseau". C'est-à-dire un ensemble de moyens pour éviter les risques de black-out.
Par exemple, la règle du N-K, peu importe l’événement fortuit qui intervient, le réseau doit pouvoir fonctionner avec l'arrêt de plusieurs lignes électriques. C'est pour cette raison que les lignes sont doublées. C'est pour cela que le réseau Français est l'un des plus denses en Europe.
Le délestage et l'interruptibilité
Certains gros consommateurs sont d'accord pour couper leur consommation d'électricité à la demande de RTE. Ils sont également rémunérés pour ce service.
En cas de surtension sur le réseau, le gestionnaire peut choisir de couper ces sites industriels de leur électricité. Cela lui donne une marge de manœuvre supplémentaire afin d'éviter le black-out. Durant une vague de froid, le réseau peut retrouver l'équilibre en coupant l'alimentation à de grands consommateurs.
Ce dispositif fut notamment déclenché en janvier 2019 et en 2020 par RTE en France.
Pour en savoir plus, n'hésitez pas à lire notre article : Électricité - Quels sont les scénarios de délestage ?
Quel avenir dans la prévention des black-out ? Entre transition énergétique et cybersécurité
Les ENR risquent de provoquer des congestions importantes
Aujourd'hui, nous savons qu'à l'heure de la transition énergétique, les énergies renouvelables vont continuer de croître.
Cette tendance de fond au développement des ENR va changer la structure du système électrique en accélérant la mutation d’un système actuel très centralisé en un système largement décentralisé.
À horizon 2030, 40 à 45% de la capacité installée en Europe devraient être raccordées sur le réseau BT/HTA contre environ 25% aujourd'hui, selon les projections de l’ENTSO-E.
Techniquement, cela devrait provoquer une hausse des congestions (surcharge) de certaines lignes et provoquer un refoulement des flux de puissances vers les réseaux de transport d’électricité.
En effet, on peut observer qu’en l’espace de 10 ans les volumes refoulés sont passés de 3 TWh en 2008 à plus de 10 TWh en 2018.
Il est donc important de monitorer ce changement de production, RTE doit régulièrement faire face à l'absence de MW de puissance électrique issue des énergies renouvelables.
Les systèmes de stockage
RTE a récemment lancé son projet RINGO, une série de batteries visant à rendre des services au réseau électrique.
Comme le dit RTE : “L’objectif : adapter les moments de stockage/déstockage en fonction de la charge en électricité présente sur le réseau.” Cela peut être une solution de court terme à l’intégration des ENR sur le réseau et éviter les coupures.
La cybersécurité au cœur de la prévention des coupures généralisées
À l’heure actuelle, plusieurs pays européens ont connu des attaques terroristes meurtrières. Les services de renseignements évoquent également la possibilité d’une attaque massive de la part de pirates informatiques visant à couper les lignes électriques d’un pays.
C’est un risque à évaluer, car ce genre d’incident peut gravement nuire à l’économie, mais également à la sécurité des citoyens. À l’heure du tout numérique et des smart grid, il est important de préserver l'intégrité de ces systèmes.
On peut imaginer une attaque coordonnée sur un réseau intelligent, permettant de se saisir des nombreuses données et de faire des dégâts considérables.
Pour en savoir plus sur l’équilibrage du réseau, n’hésitez pas à lire notre article “Qui est le responsable d’équilibre ?”