Nord Stream 2 : les dessous d’une re-naissance

il y a 9 jours   •   8 minutes de lecture

Table des matières

Mars 2025 marque un rebondissement dans le feuilleton Nord Stream 2.

Jamais mis en service, le gazoduc pourrait-il enfin devenir opérationnel ? C’est ce que laissent entendre de récentes discussions confidentielles entre la Russie et les États-Unis. Si de nombreux obstacles se dressent sur la route du Nord Stream 2, les derniers revirements stratégiques des grandes puissances montrent que l’énergie est une redoutable arme géopolitique. 

Entre rapprochements inattendus, controverses environnementales, négociations en coulisse et revirements stratégiques, plongez au cœur de la géopolitique énergétique. 

2005 – 2021 : Nord Stream 2, un projet énergétique stratégique au cœur de l’Europe

Nord Stream est un projet russo-européen né dès 1997.

Son objectif : sécuriser l’acheminement du gaz naturel russe vers l’Allemagne. Après la mise en service du gazoduc Nord Stream 1 en 2012 , Nord Stream 2 vise à accroître l’offre de gaz en Europe. 

L’origine du projet Nord Stream 2

Le gazoduc Nord Stream relie la Russie à l’Allemagne sous la mer Baltique. Il se compose de deux pipelines parallèles

Nord Stream 1 est la première canalisation sous-marine mise en service en 2012, après six ans de travaux. Avant son sabotage en septembre 2022, Nord Stream 1 transportait jusqu’à 55,5 milliards de m³ de gaz par an, sur 1 224 kilomètres. 

Nord Stream 2 est sa canalisation jumelle.
Son objectif ? Doubler la capacité totale d’acheminement de gaz naturel de la Russie vers l’Europe, soit 110 milliards de m³ par an. Bien qu’achevée en 2021, Nord Stream 2 n’a jamais été opérationnel…

 

Carte emplacement des gazoducs Nord Stream 1 et Nord Stream 2
Carte emplacement des gazoducs Nord Stream 1 et Nord Stream 2 - Source : @darioingiusto / L'Express

Le Nord Stream, une infrastructure géopolitique et économique

Le projet de gazoducs Nord Stream est né d’une alliance énergétique russo-européenne 

  • Le gazoduc Nord Stream 1 appartient à la société Nord Stream AG, détenue par le géant de l’énergie russe Gazprom et quatre entreprises européennes (Wintershall Dea, Uniper, Gasunie, Engie). 
  • Le gazoduc Nord Stream 2 appartient à la société Nord Stream 2 AG, propriété exclusive de Gazprom. Sa construction de dix milliards d’euros a été financée pour moitié par les entreprises européennes Shell, Wintershall Dea, Uniper, OMV et Engie. 

Cette alliance stratégique gagnante-gagnante entre l’Europe et la Russie perdure pendant quinze ans. Pilier de la sécurité énergétique européenne, Nord Stream 1 garantit jusqu’en 2022 l’approvisionnement en gaz naturel de l’Europe. Avant la guerre en Ukraine, le gazoduc achemine 55 % des importations de gaz allemandes, dont 40 % sont revendues à d’autres pays européens. 

En retour, la Russie assoit sa suprématie sur le marché du gaz européen, tissant un lien étroit avec l’Europe. Cette relation - certes imparfaite – contribue à maintenir une stabilité géopolitique en Europe, rompue par l’invasion de l’Ukraine. 

2022 : le coup d’arrêt porté au Nord Stream 2

L’année 2022 marque la fin des importations européennes de gaz naturel russe par pipelines sous-marins. En février, l’Allemagne suspend la mise en service de Nord Stream 2. En septembre, le sabotage du gazoduc Nord Stream 1 met fin à son exploitation. 

Nord Stream 2, une victime collatérale de la guerre en Ukraine 

Le 24 février 2022, la Russie envahit l’Ukraine. C’est le début d’une escalade de sanctions et contre-sanctions entre l’Europe et la Russie.

L’énergie devient une arme géopolitique. 

Le 25 février, l’Union européenne annonce un premier paquet de sanctions. Fin février, le couperet tombe sur le Nord Stream 2. L’Allemagne suspend sa certification. La Russie riposte en réduisant ses livraisons de gaz à l’Allemagne via le Nord Stream 1. 

En septembre 2022, l’opération de sabotage du gazoduc Nord Stream 1 donne le coup d’arrêt final à l’acheminement du gaz russe par voie sous-marine. L’Union européenne réoriente ses achats vers le gaz naturel liquéfié (GNL) et de nouveaux fournisseurs pour réduire sa dépendance à l’énergie russe.

Sanctions américaines et tensions diplomatiques

Dès sa construction, le gazoduc Nord Stream 2 suscite des critiques. Jusqu’en 2022, les États-Unis voient d’un mauvais œil le renforcement de l’alliance énergétique entre la Russie et l’Europe. 

Craignant une concurrence russe pour ses exportations de gaz naturel liquéfié (GNL), le président Donald Trump prend des sanctions en 2019. Le gel des avoirs et la révocation des visas américains des entreprises interrompent momentanément les travaux. Un accord est trouvé en 2021 entre l’Allemagne et les États-Unis. Il garantit la poursuite du transit du gaz naturel via l’Ukraine. 

2025 : vers une re-naissance du Nord Stream 2 ? 

Installation d'un pipeline dans les eaux suédoises en 2019
Installation d'un pipeline (2019) - Source : © Nord Stream 2 / Axel Schmidt

Depuis 2022, le gazoduc Nord Stream 2 est à l’arrêt.

La société Nord Stream 2 lutte pour éviter la faillite. Mais en mars 2025 des discussions russo-américaines relancent l’idée d’une hypothétique mise en service.

Un revirement de la stratégie américaine

La seconde administration Trump semble avoir changé son fusil d’épaule. Après s’être fermement opposés au Nord Stream 2, les États-Unis miseraient sur son avenir. Selon plusieurs sources, le gazoduc est au cœur des négociations bilatérales américano-russes sur la guerre en Ukraine. 

En mars 2025, des discussions auraient évoqué le possible rachat du Nord Stream 2 par un investisseur américain. Dans un contexte où l’avenir du GNL américain reste incertain, la propriété du gazoduc permettrait aux États-Unis de contrôler les flux de gaz naturel en Europe. En rapprochant l’État américain de la Russie, cet achat pourrait aussi éloigner le rival chinois. 

L’incertitude sur la politique énergétique allemande

L’attitude de l’Allemagne sera décisive pour l’avenir du gazoduc Nord Stream 2. Elle peut relancer sa mise en service en levant la suspension de la certification. 

Les regards se tournent aujourd’hui vers les conservateurs allemands. Leur victoire aux élections fédérales de février 2025 peut-elle changer la donne ?

Des parlementaires relancent le débat, tel Thomas Bareiss dans un post sur les réseaux sociaux : « Lorsque la paix sera rétablie et que les armes se tairont entre la Russie et l'Ukraine, les relations se normaliseront, les embargos seront levés tôt ou tard et, bien sûr, le gaz pourra à nouveau circuler, peut-être cette fois dans un pipeline sous contrôle américain. » 

Cette position est soutenue par les industriels allemands. Le Nord Stream 2 fait naître l’espoir d’une baisse des prix du gaz et d’une reprise économique. Il permettrait aussi à l’Allemagne de réaffirmer son rôle géopolitique en Europe, en tant que plaque tournante du gaz. 

Malgré ces premières prises de position, l’incertitude persiste. La position du futur Chancelier allemand Friedrich Merz sera déterminante. Si en 2022, il demandait la fin immédiate de la dépendance énergétique à la Russie, un changement de position marquerait un revirement historique des conservateurs. 

Quelles autres réactions européennes ?

Face au possible redémarrage du Nord Stream 2, l’Europe balance entre inquiétudes, oppositions et pragmatisme. Peu de pays se sont exprimés suite aux discussions russo-américaines. 

Méfiants vis-à-vis de la Russie, les pays de l’Est (Pologne, Pays Baltes, Slovaquie, République tchèque…) devraient confirmer leur opposition historique au Nord Stream 2 qui contourne le transit du gaz par l’Ukraine.  

L’Union européenne fait aussi obstacle. En 2018, l’exécutif européen déclarait que le "Nord Stream 2 ne contribuait pas aux objectifs de la politique énergétique de l'UE tels que la sécurité énergétique ou la diversification des approvisionnements." Si l’actuelle présidence européenne ne s’est pas exprimée, une directive impose des règles contraignantes à Gazprom. Au nom de la concurrence, elle exige l’ouverture de l’usage du gazoduc à d’autres entreprises. En novembre 2024, la Cour de justice européenne a confirmé cette obligation en rejetant le recours de Gazprom contre cette directive. 

Quelles conséquences en cas de mise en service du Nord Stream 2 ? 

La potentielle mise en service du gazoduc Nord Stream 2 cristallise les tensions. Intérêts économiques, géopolitiques et écologiques s’opposent.  

Nord Stream 2 : un impact économique réel pour l’Europe ? 

Attisée par la guerre en Ukraine, la flambée des prix de l’énergie a déstabilisé les économies européennes. L’Allemagne est durement touchée, avec une économie en récession depuis trois ans et une industrie manufacturière en crise. 

Sous un angle strictement économique, la mise en service du Nord Stream 2 suscite l’espoir. La réouverture du robinet russe pourrait faire baisser les prix du gaz naturel et alléger la facture énergétique des consommateurs. 

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Nord Stream 2 : un risque pour l’indépendance énergétique de l’Europe ? 

Véritable électrochoc, la guerre en Ukraine a révélé les limites de la souveraineté énergétique de l’Europe.

Depuis 2022, l’Union européenne agit pour réduire sa dépendance au gaz naturel russe d’ici 2027. Le plan RePowerEU combine deux stratégies : 

  • La diversification des sources d’énergie, basée sur l’accélération des énergies renouvelables
  • La diversification des fournisseurs d’énergie avec l’achat de gaz naturel à de nouveaux pays (Norvège, Algérie, Azerbaïdjan, Royaume-Uni, Libye...), et l’importation de GNL américain. 

La mise en service du Nord Stream 2 signifierait-il un retour en arrière ? Pourrait-il menacer l’Europe en recréant une double dépendance énergétique à la Russie, un partenaire contesté, et aux États-Unis, un allié devenu imprévisible ?  

Importations trimestrielles de gaz naturel dans l'UE depuis 2021 par source (en milliards de m³
Source : ENTSOG,GIE, Bloomberg, Statista

Nord Stream 2 : un signal négatif pour le climat ? 

Le gaz naturel a un fort impact environnemental. Selon l’ADEME, il émet 243 g éq.CO2/kWH , contre 44 g éq.CO2/kWH pour l’électricité photovoltaïque et 14 g éq.CO2/kWH pour l’éolien terrestre. 

La reprise de l’acheminement du gaz naturel russe vers l’Europe serait une mauvaise nouvelle pour l’environnement. En facilitant l’accès à un gaz fossile polluant, le Nord Stream 2 enverrait un signal négatif pour le climat. 

Moins pressurisés, les pays européens pourraient privilégier de nouveau le gaz naturel au détriment de la transition énergétique et des énergies renouvelables. Le Nord Stream 2 pourrait signifier un pas en arrière pour la planète. 

Pour conclure...

La mise en service du Nord Stream 2 reste hypothétique face à de nombreux obstacles techniques, financiers, juridiques et géopolitiques. Mais ce gazoduc illustre le rôle central de l’énergie dans le débat géopolitique et économique mondial. Dans un monde où les puissances rebattent leurs cartes, l’avenir est incertain. L’ouverture du Nord Stream 2 met en lumière les contradictions et pose des questions fondamentales sur la hiérarchie des priorités mondiales : géopolitique, économie, souveraineté énergétique ou climat ?  

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