Contrairement aux ménages français qui bénéficient pour beaucoup d'un tarif régulé de vente, les entreprises sont bien moins protégées de la flambée des prix de l'énergie. La multiplication par plus de dix, depuis un an, des prix de l'électricité et du gaz commence à se faire sentir auprès de celles qui doivent renégocier leur contrat arrivant à échéance à la fin de l'année.
« Les impacts économiques des prix actuels du gaz et de l'électricité vont être dévastateurs, explique Alexandre Saubot, président de France Industrie. Si on ne trouve pas de solution d'ici la fin de l'année, car la plupart des contrats ont cette date pour échéance, certains industriels vont s'arrêter, tout simplement. »
Mêmes échos du côté des électro-intensifs (aluminium, chimie, ciment, aciers, verriers…) réunis au sein de l'Uniden.
« Avec l'explosion des prix du marché de gros de l'électricité en Europe, en particulier en France, produire ne sera bientôt plus une option, s'alarme cette union d'industriels. Des usines situées en amont de filières entières ont commencé à réduire leur production. »
En début de semaine, les 15 000 entreprises agroalimentaires de France ont tiré la sonnette d'alarme. En jeu, là encore, le maintien de leur production, et donc l'approvisionnement des rayons. Selon la fédération, la flambée de l'électricité menace désormais la trésorerie et l'activité des usines alimentaires françaises, dont 98 % sont des PME. Pour celles-ci, si le poids de l'énergie reste limité (il est passé de 3 % à 5% de leur chiffre d'affaires entre 2021 et 2022), les nouvelles augmentations à venir font planer le risque de l'arrêt de certaines lignes. Car elles s'ajoutent à l'envolée du coût des matières premières agricoles, de l'emballage, des transports… Ce risque sur la continuité de la production est le plus fort dans les filières les plus énergivores comme l'industrie laitière (notamment les tours de séchage de lait) et l'industrie sucrière ou charcutière. Une ETI de la charcuterie alertait récemment que sa facture allait être multipliée par quatre en 2023.
Danger si faible marge
La situation sur les marchés de l'énergie est à ce point tendue que les entreprises rencontrent toutes les peines du monde pour trouver un fournisseur à la fin de leur contrat existant. Cela les oblige à se retourner vers EDF, fournisseur de dernier recours, qui facture des tarifs exorbitants.
« Prendre un nouveau client, cela signifie pour un fournisseur payer tout de suite 20 % de l'électricité qu'il doit réserver à l'avance pour son client pour les années 2023 à 2025, par exemple, afin de se couvrir, explique Emmanuel Sire, expert en énergie. Cela se traduit par une sortie énorme et immédiate de cash, alors que le client paiera son électricité mensuellement durant la durée du contrat. »
Le prix à terme pour 2023 s'élève à plus de 700 euros le mégawattheure, celui pour 2024 à 409 euros et pour 2025 à 285 euros. Avant la crise, les prix à terme plafonnaient à une quarantaine d'euros.
« Le plus important, aujourd'hui, ce n'est pas forcément le poids de l'énergie dans le processus de production mais le rapport entre ce poids et le taux de marge. Si ce dernier est faible, la hausse du prix de l'énergie peut suffire à faire passer les comptes dans le rouge »,
décrypte le représentant d'une association professionnelle. Ainsi, le secteur de la distribution n'est pas un des plus énergivores - il ne pèse que 15 % des émissions du tertiaire. Mais la faiblesse de ses marges rend une hausse de la facture d'électricité particulièrement douloureuse. À lui seul, le poste énergétique grignote environ 30 % du résultat des grandes surfaces alimentaires.
« Pour un supermarché de 1 000 m2, la facture énergétique atteint 80 000 à 100 000 euros aujourd'hui, explique Thierry Cotillard, le patron de Perifem, la fédération technique de la distribution alimentaire. Pour de nombreuses enseignes qui renégocient actuellement leurs contrats, la facture pourrait être multipliée par deux. À ce niveau, un certain nombre de magasins ne seront plus rentables. »
Pour l'ensemble du secteur de la distribution alimentaire, la hausse atteindra 1,5 milliard d'euros. Un niveau à même d'« entraîner des ruptures de la chaîne d'approvisionnement par l'arrêt de certains fournisseurs », avertit Perifem.
Les entreprises ne sont toutefois pas sans protection. Une partie de leur facture est allégée par le mécanisme de l'Arenh (de l'électricité nucléaire vendue à bas prix par EDF à ses clients et aux autres fournisseurs), qui a été renforcé cette année. De plus, le gouvernement a alloué une aide de 3 milliards d'euros pour les entreprises les plus exposées, qui a été prolongée jusqu'à la fin de l'année. Mais ce n'est plus suffisant, alertent les entreprises. Pour limiter la casse, la fédération de la distribution alimentaire, ainsi que le Cleee (association de gros consommateurs d'énergie qui comptent notamment la SNCF, Veolia, Bouygues Telecom), demandent au gouvernement de mettre en place un tarif réglementé exceptionnel pour les entreprises pour 2023. Ils soutiennent également, comme l'Uniden, une réforme urgente du marché européen de l'électricité. ¦
par Marie Bartnik £@mariebartnik, Olivia Détroyat £@Oliviader, Emmanuel Egloff £@eegloff Et Guillaume Guichard